Amériques 1992-1994
Avril 1992. Un peu partout dans le monde, on célèbre le cinq centième anniversaire de la "découverte" du continent américain par Christophe Colomb. Quant à nous, ce raid Montréal-Ushuaïa et retour que nous préparons depuis dix-huit mois se casse la figure, faute de finances. Impossible, en effet, de trouver suffisamment de sponsors : la conjoncture économique, déjà...
Bon, personne ne veut nous aider. Tant pis. Ou plutôt, tant mieux ! Comme ça, nous ne devrons rien à personne. Car nous partirons quand même. Après tout, les sponsors n'étaient censés financer que la moitié de nos dépenses, le reste étant couvert par nos économies. Et elles sont toujours là, elles !
Bon, le beau pick-up 4x4 équipé d'une cellule dont nous rêvons depuis l'Afrique va sérieusement changer d'aspect. Mais le principal, c'est de partir, non ? Avec les moyens du bord. En l'occurrence, une Renault 4 fourgonnette baptisée "Chiquita" (Petite fille). Mais attention, 4x4 quand même. Achat d'une transmission Sinpar dans une casse, trois semaines de travail pour la remettre en état, l'installer et aménager l'intérieur du véhicule et... roulez jeunesse !
Arrivés à Montréal par avion, nous commençons par récupérer Chiquita à au port d'Halifax puis prenons la direction du Sud. Car si nous avons débarqué en Amérique du Nord, c'est bel et bien l'Amérique du Sud qui nous attire. De plus, nous sommes partis avec un budget réduit (60.000 FRF en tout et pour tout) et ne pouvons pas nous permettre de nous attarder.
À Arlington (près de Washington DC), nous passons un mois chez un ami des parents de Rémi, le temps de finaliser l'aménagement intérieur de Chiquita et de compléter notre matériel photo. Ensuite, direction Atlanta, où un ami vient juste de se marier, et le Texas. Là une mauvaise nouvelle nous attend : impossible d'entrer la voiture au Mexique sans carte bancaire. Or nous n'en avons pas.
Martin, un habitant de Laredo, est d'accord pour nous prêter la sienne, mais rien n'y fait : la carte bancaire doit être au nom du propriétaire du véhicule... Il faut contacter notre banque en France, demander l'émission d'une carte... et attendre. Cinq semaines. Que nous mettons à profit en étudiant l'espagnol dans une vieille méthode Assymil.
Enfin, nous voilà en Amérique latine. Les Texans nous ont dit beaucoup de mal des Mexicains, notamment des policiers. Ils avaient raison : à Mexico, nous nous faisons arrêter et la police nous réclame sans aucune raison un bakchich de 800 USD. Rien que ça ! Nous nous en tirons finalement en leur donnant un billet de 50 FRF.
Au Guatemala, notre premier coup de coeur, nous prenons des cours d'espagnol pendant deux semaines, histoire d'approfondir les connaissances acquises au Texas et de pouvoir vraiment communiquer. Ensuite, c'est l'Amérique Centrale, une succession de pays tellement petits que nous devons volontairement ralentir le rythme pour ne pas passer des frontières trop souvent.
Au Salvador, les freins d'un camion lâchent et il vient emboutir l'arrière de Chiquita, innocemment garée face à la mer. De retour de la gargotte où nous avons déjeuné, nous la retrouvons deux mètres plus loin, la porte arrière défoncée. Deux semaines pour la faire remettre en état.
Au Nicaragua, c'est dans un petit village que nous fêtons Noël, puis la nouvelle année.
Enfin, voilà Panama, le dixième pays de notre périple. Le bout de la route : il est impossible de continuer par voie terrestre. Nous devons mettre Chiquita sur un bateau et prendre l'avion pour la Colombie. Pas des plus faciles à organiser... et très coûteux : nous paierons plus cher pour ce saut de puce que pour la traversée de l'Atlantique.
À Buenaventura, nous récupérons Chiquita après trois jours de démarches pour la sortir du port. Nos bagages, eux, sont arrivés à Cali. Rien ne manque, c'est quasi miraculeux ! En tout cas, nous pouvons reprendre la route.
L'Équateur est notre deuxième coup de coeur. Nous y passons trois mois et y fêtons notre première année de voyage. En France, on s'inquiète d'un éventuel retour, mais cette fois nous sommes partis libres de toutes contraintes (nous avons démissionné de nos emplois respectifs et avons sous-loué notre appartement) et tant qu'il y a de l'argent en caisse, il n'y a aucune raison de rentrer !
En une semaine tout juste, nous traversons le Pérou (alors réputé dangereux) et rejoignons la Bolivie. Notre troisième coup de coeur !
Nous sommes conquis par La Paz. Ses rues en pentes et ses cholitas colorées. Mais c'est à Potosi que nous posons nos valises deux mois, chez un prêtre belge qui met en place un centre de soutien scolaire pour les enfants défavorisés (enfants de mineurs pour la plupart). Rémi lui installe un chauffe-eau solaire, un paratonnerre, répare les couveuses de l'hôpital voisin... je lui fais des travaux d'imprimerie, donne des cours de traitement de texte, reçoit les paroissiens... et ensemble nous donnons des cours d'éducation sexuelle aux adolescents de la paroisse !
Pressés par notre visa (qu'il n'est plus possible de renouveler) nous continuons notre route vers l'Argentine. Une petite incursion au Paraguay et nous voilà à Buenos Aires, où nous nous posons quelques jours avant de continuer plein sud vers la Terre de Feu.
Mi-décembre, nous atteignons Ushuaïa. C'est lété, il neige et le vent est glacial. Quant à notre colis de Noël, il s'est manifestement perdu. Il est temps d'inverser notre trajectoire et de repartir vers le Nord.
C'est à Punta Arenas, dans le Sud du Chili, que nous fêtons Noël avec un couple de voyageurs hollandais. Déjà un an et demi que nous sommes sur la route et l'envie de rentrer ne se fait toujours pas sentir.
Longeant la Cordillère des Andes du côté argentin, nous rejoignons bientôt la Carretera austral dans le Sud chilien et embarquons pour Chiloé. Là nous faisons de nouveau la connaissance d'un prêtre belge, qui nous héberge en échange de divers services. Rémi installe le moteur de son nouveau bateau (une partie de sa paroisse est composée d'îles), je lui fais du secrétariat, du tri dans ses archives... et l'aide même à écrire ses sermons du dimanche ! Je me fais également suivre par le matron de l'hôpital car je suis enceinte...
Ensemble, nous effectuons le voyage inaugural du nouveau bateau : trois jours inoubliables dans l'archipel de Chiloé...
Contraintes de visa obligent, nous quittons finalement la grande île et longeons la côte chilienne jusqu'à Arequipa avant de reprendre la route de la Bolivie : c'est là que nous voulons que notre enfant naisse.
L'arrivée à Potosi, près d'un an après l'avoir quittée, est un grand moment d'émotion. Nous retrouvons le Padre Juan et ses enfants (il y a désormais deux centres de soutien scolaire) et c'est chez lui que nous attendrons l'arrivée de Samuel.
Le 1er août 1994, il est là. Nos familles n'en savent rien encore : nous n'avons pas voulu les inquiéter. Mais maintenant, nous avons envie de partager ce bonheur avec elles. Le temps de trouver un acheteur pour Chiquita (que nous abandonnons avec regret), de réserver les billets d'avion pour toute la famille, et nous atterrissons à Roissy mi-septembre.
Samuel a un mois et demi ; nous sommes partis depuis vingt-sept mois.
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