Une famille autour du monde
 

VOYAGES AU LONG COURS

 Amérique du Sud 2002-2004
     Le véhicule
     Le parcours
     Carnets de route
     Arrêts sur image
        Chiloé
        Bandera Bajada
        Pulacayo
        Nidelbarmi
        Brasilia
        Alagoinhas
        Mouvement Sans Terre
        La Guyane
        Sur le Río Madeira
        Missions jésuites
        Yerba mate
        La valse des voitures
     Infos pratiques
     Bilan en chiffres
 Amériques 1992-1994
 Afrique de l'Ouest 1990
 Afrique de l'Ouest 1988

Fenêtre sur les Andes (Argentine)

Compteur visiteurs

Arrêts sur image : huit jours sur le Río Madeira, au coeur de l'Amazonie

La ville de Manaus, au coeur de l'Amazonie, est totalement isolée du reste du Brésil : on ne peut l'atteindre que par les airs ou par les fleuves. Il y a bien eu une route pour la relier à Porto Velho, au sud, mais celle-ci est officiellement fermée à la circulation depuis les années 90. Faute d'entretien, de nombreux tronçons sont devenus impraticables, que la forêt ait repris ses droits ou que des ponts se soient écroulés. Aujourd'hui, la route est en cours de reconstruction. Mais en attendant, pour rallier le sud depuis Manaus, il n'y a qu'une voie possible : le Río Madeira. C'est celle qu'empruntent tous les camionneurs.

Un VW chez les semi-remorques

Manaus possède un énorme pôle industriel. Constructeurs automobiles, fabricants de matériel électronique et informatique y sont nombreux à profiter d'un statut particulier qui réduit considérablement les taxes. Par ailleurs, pour son alimentation (notamment les produits frais tels que les légumes) la ville dépend énormément des états du sud. Le trafic routier est donc intense et chaque jour ce sont des dizaines de semi-remorques qui embarquent dans les deux sens sur le Río Madeira.
La barge vue du pousseur Pour les camionneurs, ce trajet est une vraie galère : pendant huit jours, il n'y a rien à faire... et ils ne sont pas habitués ! Si la route existait encore, ils feraient le trajet en deux ou trois jours seulement. Mais ils sont encore bien contents quand le trajet ne dépasse pas les huits jours "réglementaires". En effet, les histoires d'accidents ne manquent pas... Untel nous dit être resté bloqué pendant 20 jours sur une barge qui s'était échouée juste avant que le niveau de l'eau ne baisse. Il avait fallu attendre le retour de la pluie pour pouvoir repartir. Les cargaisons de produits frais ou de viande congelée avaient toutes pourri. Un autre nous raconte qu'une erreur de navigation a jeté une barge sur un rocher. Une brèche de deux mètres de large s'est ouverte... et vingt-cinq remorques se sont retrouvées à l'eau.
- Elles y sont toujours. La compagnie doit les sortir du fleuve, mais on ne sait pas quand...
Un autre encore nous explique qu'il y a exactement 111 jours qu'il a quitté sa famille. Bien avant les fêtes de fin d'année. A Manaus, il est tombé en panne et il a fallu changer complètement le moteur. Le temps que les pièces arrivent et que la réparation soit faite, il est resté bloqué 70 jours sur place.
Tout près de la rive Pour tuer le temps, sur la barge, il y a bien sûr les discussions entre "voisins", les parties de cartes ou de dominos. Quelques chauffeurs sont accompagnés de leur femme. Ceux-là ne prennent en général pas leur repas à la cuisine. Ils se contentent de prendre leur part de viande et la préparent eux-mêmes. Le matin et l'après-midi, on boit le mate. D'autres préfèrent la "cachaça" (l'alcool de canne à sucre) dès l'heure du petit déjeuner. Ils passent alors l'après-midi dans leur hamac.
A la cuisine, chacun arrive avec son assiette et se sert directement dans le plat. Les derniers arrivés ne sont pas sûrs d'avoir quelque chose à manger. C'est qu'on n'hésite pas à se servir généreusement ! Certains ressortent de la cuisine avec plus de nourriture que nous n'en prenons pour toute la famille. D'ailleurs, le camionneur brésilien est en général doté d'une bedaine à faire pâlir tous les buveurs de bière !
Les nuits aussi sont longues. Alors l'équipage n'hésite pas à fournir des prostituées à ceux qui le demandent. Il suffit d'aller les chercher avec l'annexe du pousseur. Ce soir-là, remue-ménage sur le pont : deux femmes viennent d'arriver. L'une d'elles est une toute jeune adolescente : elle ne doit pas avoir plus de 12 ans. Peu importe : elle disparait bientôt dans la cabine d'un camion. La passe lui rapportera 5 ou 10 reais (1,50 ou 3 €). Les chauffeurs accompagnés de leur femme sont scandalisés. Les autres trouvent cela tout à fait normal.

Les fantômes de la nuit

A la nuit tombée, quand les enfants sont couchés, nous rejoignons Adalberto, l'un des camionneurs. L'obscurité est propice à raconter toutes sortes d'histoires...
- Vous avez déjà entendu parler des sucuris ? Les serpents géants ?
A l'heure du mate, sous une remorque A l'entendre, les fleuves d'Amazonie abriteraient des monstres aquatiques, sorte de mélange d'anaconda et de monstre du Loch Ness. Des spécimens longs de vingt à trente mètres auraient déjà été vus...
- Une nuit, deux amis camionneurs étaient en train de discuter, comme nous maintenant, au bord de la barge. Tout à coup, une tête énorme est sortie de l'eau, s'est hissée à leur hauteur et les a regardés... Puis l'animal est rentré dans l'eau. Et les deux mecs sont vite rentrés dans leur camion !
Nous avons beau lui dire que l'anaconda est le plus grand serpent du monde et qu'il n'atteint même pas les quinze mètres (ce qui serait la taille d'un tout petit sucuri), rien n'y fait. Adalberto n'est pas inculte, il possède sa propre entreprise de transport et a la tête sur les épaules, mais quand il s'agit du sucuri, il ne veut rien entendre.
- Une personne peut raconter des mensonges. Deux aussi, s'il y en a un qui veut couvrir l'autre, mais il y a trop de monde qui en a vu ! D'ailleurs, les Indiens le disent bien : la seule chose qui leur fasse vraiment peur, c'est "le grand serpent".
Mais la nuit est aussi l'heure de tous les trafics. Les remorques qui ne sont pas attelées à un tracteur voyagent avec un "maniquero". Ce n'est pas un chauffeur. Il est juste là pour surveiller la remorque et son éventuelle marchandise, s'assurer que tout va bien. Mais en réalité, beaucoup profitent du trajet pour siphonner les différents réservoirs. La nuit venue, une barque s'approche de la barge et des bidons s'échangent en silence : de l'huile ou du gas-oil qui sera revendu aux Indiens sur le fleuve...

La chasse au caïman

Ce soir, Adalberto s'est armé d'une lampe de poche. Nous sommes suffisamment proches de la rive pour pouvoir l'éclairer. Toutes les trente secondes, il la balaie de son faisceau lumineux.
Retour de la chasse - Je cherche les "jacarés". Il doit y en avoir dans le coin. J'ai demandé au capitaine à aller à la chasse. Il n'y a presque plus de viande à la cuisine : ça fera à manger pour les derniers jours !
Soudain, un point jaune fluorescent apparaît dans le faisceau de la lampe, entre les herbes. C'est l'oeil d'un caïman. Il capte la lumière d'une manière étonnante : la lampe ne l'éclaire plus qu'à peine, mais nous le distinguons toujours. C'est pour cette raison qu'on chasse le caïman la nuit : ils sont alors extrêmement faciles à repérer.
Cette nuit, trois hommes vont partir : Chiquinho (le capitaine) qui s'occupera de manoeuvrer la barque, Pedro (un membre de l'équipage) harponnera la bête et Adalberto sera chargé de maintenir la corde attachée au harpon pour ne pas perdre l'animal. Au cas où, il y a aussi une hache.
Le lendemain matin, deux petits caïmans de 1 m et 1,50 m sont étendus sur le pont, près du camion d'Adalberto. Dans sa "maison", comme on dit. C'est lui qui a lancé l'idée de la chasse et qui a rassemblé l'argent pour payer le gas-oil, on le considère donc comme le propriétaire du gibier. Aujourd'hui, caïman au menu ! Adalberto le fait mariner plusieurs heures dans du citron, de l'oignon et de l'ail avant de le frire en beignet. C'est tout simplement délicieux.
Dans la gueule du caïman - Et toi, ça te plairait d'aller à la chasse ? Demande soudain Adalberto à Rémi.
Il est persuadé que le "gringo" va refuser... mais il le connait mal ! Et à sa grande surprise, Rémi saute sur l'occasion qui se présente. Le temps de rassembler de nouveau 30 reais (10 €) pour le carburant et la nuit suivante une nouvelle expédition part dans la nuit. Cette fois, la bête qu'ils ramènent mesure plus de 2,50 m et deux heures après sa mise à mort, la queue est encore agitée de mouvements réflexes impressionnants. Adalberto est épaté.
- Je ne pensais pas que tu monterais dans la barque, avoue-t-il. Chiquinho non plus, d'ailleurs. Je m'apprêtais à prendre ta place au dernier moment.

Enfin, huit jours après le départ, Porto Velho apparaît à l'horizon. La vie "normale" reprend son cours, mais c'est presque à regret que nous quittons la barge : nous y avons passé les meilleurs moments de notre séjour au Brésil.

La Guyane, une drôle de France    Les missions jésuites de Chiquitos