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VOYAGES AU LONG COURS

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Arrêts sur image : le Mouvement Sans Terre

Au Brésil, pendant longtemps, le latifundium a été la règle absolue. La terre appartenait à quelques familles, chacune détenant une surface considérable. Pour les autres (autrement dit pour une écrasante majorité de la population) il n'y avait tout simplement rien. Les grands propriétaires les employaient comme "pions" dans leurs fazendas. Un terme qui veut bien dire ce qu'il veut dire...
Le Mouvement Sans Terre est né de la révolte de tous ces laissés pour compte, malmenés au gré des envies des fazendeiros. Leur seule revendication : obtenir un lopin de terre qu'ils puissent cultiver comme bon leur semble. Car il est d'autant plus injuste d'être sans terre au Brésil que dans les grandes fazendas d'immenses parcelles ne sont pas exploitées.
Lorsqu'on traverse le pays, il est impossible de ne pas voir, sur le bord de la route, ces villages de cahutes que sont les "acampamentos". Ils sont installés sur le terrain fiscal : cette bande de terre, le long de la route, qui appartient à l'état.
Acampamento Les maisons sont toutes petites : une demi-douzaine de mètres carrés, à peine. L'ossature est en bois (de petits piquets de quelques centimètres de diamètre) recouverte de feuilles de palmiers ou de bâches en plastique noir (disponibles dans presque tous les supermarchés). Ni eau, ni électricité : on ne s'installe pas pour vivre sur place, mais pour revendiquer la terre qui se trouve juste à côté.
Les grands propriétaires ne manquant pas d'armes (dans tous les sens du terme) pour se protéger, ils ont fait voter une loi qui stipule qu'une terre occupée par les sans terre ne peut pas être expropriée pendant une durée de deux ans. Les pauvres ne peuvent donc plus prendre possession de la terre "de fait". Et ils en sont réduits à camper au bord.
Légalement, la fazenda a une fonction sociale à remplir : elle doit fournir du travail. Si ce n'est pas le cas (trop peu de personnel par rapport à la surface) une expropriation partielle peut être prononcée. Mais encore faut-il que la commission ad hoc vienne constater le défaut. Cela peut prendre des années.
Lorsque l'expropriation est prononcée, un organisme indépendant rachète la terre pour le compte des nouveaux (petits) propriétaires. Charge à eux, ensuite, de le rembourser. De petites maisons (en dur, cette fois) sont construites sur les parcelles. Un nouveau hameau apparaît sur la carte : ce sont les "assentamentos".
Tout cela pourrait paraître assez simple. Mais les écueils ne manquent pas. Car ce type de revendication nécessite une action solidaire et sur du long terme.
- En trois ans, nous avait dit Inès, à Goias, je n'ai vu aucun "acampamento" se transformer en "assentamento".
L'installation temporaire devenant quasi définitive, on en oublie parfois le but initial. Pourquoi tout ça ? Il ne s'agit pas de créer un village au bord de la route ! Pourtant, il faut aussi manger. Alors de petits potagers apparaissent aux abords des "acampamentos". Lorsque 200 cahutes se serrent les unes contre les autres et que chacune abrite une famille, cela représente un certain nombre de bouches à nourrir.
Qu'ils soient anciens "pions" de fazenda ou enfants de sans terre, les "acampados" ont tous un lien avec celle-ci. Une histoire avec elle. Certains louaient des parcelles pour les cultiver, mais leurs revenus sont devenus si bas qu'ils n'en ont plus les moyens.
Lorsque la bataille est gagnée et qu'un lopin de terre leur est attribué, les problèmes ne finissent pas pour autant. Car ces petits producteurs doivent ensuite trouver à écouler leur marchandise. La création d'une coopérative est souvent nécessaire. Encore faut-il en avoir l'énergie... D'autant plus que cela ne s'improvise pas. Il faut avoir un minimum de connaissances en gestion pour s'en sortir.
Et puis il y a les grands propriétaires... Devant la perspective d'une réforme agraire qui les priverait d'une partie de leurs terres, c'est peu de dire qu'ils traînent les pieds ! Certains n'hésitent pas à embaucher des tueurs à gages pour se débarrasser des gêneurs. Au cours des neuf premiers mois de 2003, soixante ouvriers agricoles ont ainsi été assassinés au Brésil. Mais les amis des sans terre risquent aux-aussi leur peau tous les jours. A Goias, un prêtre est ainsi devenu aveugle après avoir reçu une balle dans la tête.
Malgré tout, il y a de petites victoires. Des "assentamentos" se créent. On y construit des écoles, un système d'adduction d'eau. La vie s'organise. Et on espère beaucoup. De Lula, entre autres. L'ancien ouvrier tourneur devenu président de la république après avoir mené les grandes grèves de la fin des années 70 cristallise aujourd'hui tous les rêves du petit peuple brésilien.

L'école des laissés pour compte, à Alagoinhas    La Guyane, une drôle de France