Le 11/06/2001 : du rififi à la logistique
Dire qu'il y a trois semaines, je vous parlais sereinement de nos remplaçantes... Ah là là, bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis ce temps-là ! Vous vous souvenez peut-être qu'Elisabeth devait arriver le 31/05, avec son copain et son bébé ? Eh bien, le 30/05 au matin, on recevait un e-mail de Paris, nous annonçant laconiquement qu'elle ne venait plus, que, finalement, elle partirait sur une autre mission, que donc il n'y avait plus de coordinateur logistique à venir, mais que le copain du coordinateur médical prendrait un poste de logisticien, supervisé par le futur chef de mission... Inutile de dire que ce petit message glissé mine de rien dans notre boîte à lettres a fait l'effet d'une bombe dans le bureau. Le staff n'a rien compris. Quant à Rémi, qui venait de passer une semaine au lit avec une méchante fièvre virale et qui revenait au bureau pour, justement, préparer l'arrivée d'Elisabeth, il est carrément retourné se coucher...
Evidemment, j'ai fait un e-mail à Paris leur demandant des explications. La réponse est arrivée dans l'après-midi. Et quelle réponse ! Pierre (notre assistant responsable de programme) commence par mettre une couche de pommade dans le dos de Rémi en disant qu'il a fait un super boulot pendant l'année qui vient de s'écouler, que les résultats obtenus dépassent leurs attentes, etc. Après, on passe aux choses sérieuses (si je puis dire...), à savoir "qui va remplacer Rémi ?" C'est bien simple : personne.
Le fin mot de l'histoire, c'est que les problèmes de recrutement sont tels qu'il y a un seul candidat au remplacement de Marina : le Stephen dont je vous ai déjà parlé, sans mentionner son nom. Sachant qu'il est ardemment désiré, ce monsieur a manifestement posé ses conditions pour prendre le poste, à savoir qu'il fallait trouver quelque chose à faire à son copain. Et Paris a cédé ! Il est logisticien, mais n'a pas les compétences pour être coordinateur logistique ? Pas de problème : le futur chef de mission est une grosse pointure de cette même logistique et pourra le superviser. Le résultat des courses, c'est donc que le coordinateur logistique et le chef de mission seront une seule et même personne. L'autre sera là en "compagnonnage" et fera... on ne sait pas trop quoi !
Que Paris cède à ce genre de chantage est déjà, en soi, inadmissible. Mais bon, admettons qu'on veuille absolument créer un poste pour Harry (le copain de Stephen). Qu'est-ce qui empêche de garder le poste de coordinateur logistique ? Là, il n'y avait pas de problème de recrutement, puisqu'Elisabeth était prête à venir ! Et quand je dis "prête à venir", je pèse mes mots. Comme elle nous avait contactés directement avant, on avait son adresse e-mail personnelle. On lui a donc demandé comment cette décision lui avait été présentée...
Elisabeth devait prendre l'avion pour Colombo le mercredi en début d'après-midi. Le lundi et le mardi, elle a bossé au service logistique. On lui a même donné du matériel à amener au Sri Lanka. Le mardi soir, elle rejoint son copain et son bébé à l'hôtel, et là, à 20h, on lui dit : "changement de programme, tu ne pars plus au Sri Lanka demain." On appelle ça de la gestion de ressources humaines...
Ici, tout le monde a été scandalisé. Tous les responsables terrain s'inquiètent de ce que la logistique va devenir et protestent. On a envoyé un e-mail à Paris regroupant les courriers de protestation/doute/questionnement de tout le monde. Rien n'y a fait. Le plus décourageant, dans l'histoire, c'est que Manuel se trouve actuellement à Paris et que manifestement il soutient la décision prise. Je l'ai eu au téléphone vendredi ; il m'a demandé de "rassurer" les missions. Le futur chef de mission/coordinateur logistique est un bon ; d'après Manuel, tout va bien se passer. Mais comment est-ce qu'on peut croire ça ? Chef de mission, c'est un travail à plein temps. Coordinateur logistique aussi. Les deux sont censés passer la moitié de leur temps sur les projets. Alors celui qui cumule les deux casquettes, quand est-ce qu'il se trouve à Colombo ? Le chef de mission est responsable de la sécurité des équipes. Quand il est absent, le coordinateur logistique le remplace, c'est la règle. Et là, on veut cumuler ces deux postes sur une seule personne ? Dans un pays en guerre, avec trois projets sur cinq de l'autre côté de la ligne de front ? On n'arrive même pas à comprendre que quelqu'un ait pu envisager sérieusement une telle énormité...
Inutile de dire que Rémi est complètement dégoûté. Découragé. Démotivé. Oui, Pierre a raison, il a fait un super boulot. Oui, la logistique fonctionne, alors qu'il y a un an c'était le bordel le plus complet. Mais les rouages ne sont pas encore bien huilés. La machine fonctionne bien... parce que Rémi est là pour contrôler les niveaux et donner le coup de pouce qu'il faut, là où il faut, au moment où il faut. Si ce support n'est plus assuré, la machine ne va pas mettre longtemps à s'enrayer. Et comme le nouveau chef de mission arrive le 23/08, il n'y aura pas de passation entre Rémi et lui. Dans ces conditions, on se demande un peu (beaucoup !) pourquoi on s'est donné à fond pendant un an. Si c'est pour qu'aucun suivi ne soit fait derrière, ça revient à avoir travaillé pour rien. Pas vraiment gratifiant, tout ça !
Rémi a de toutes façons maintenu ses visites sur le terrain. Mais au lieu de les faire avec sa remplaçante, il les fait seul. Histoire d'apporter un dernier soutien technique aux missions avant les calendes grecques. Accessoirement, ça lui permet aussi de s'oxygéner un peu et de retrouver un peu d'énergie. Je ne crois pas l'avoir déjà vu aussi abattu que la semaine dernière...
De mon côté, ma remplaçante doit toujours arriver le 21/06 mais du coup plus personne n'y croit ! Quant à ceux par qui le scandale est arrivé, ils débarquent à Colombo le 28/06. Et quand je parle de scandale, ce n'est pas impossible qu'un vrai scandale finisse par arriver. En effet, leur homosexualité est désormais connue de tous : en dehors de la vérité, je ne vois pas ce qu'on aurait pu inventer comme justification à la décision de Paris... Et ça, c'est une vraie bombe à retardement. Le moindre problème avec quelqu'un du staff et ça peut resurgir. En plus, ça ne va pas leur rendre la vie facile : la société sri lankaise est tout de même profondément machiste et dans le staff (logistique, justement) on en a de beaux exemples.
"What to do ?" Que faire ? C'est une phrase qu'on entend souvent, au Sri Lanka. Elle est tout à fait de circonstance. On a fait tout ce qu'on pouvait. On s'est époumoné tout ce qu'on a pu. Les gens concernés par la logistique sur la mission sont unanimes : c'est une connerie ! Nos responsables à Paris ne veulent pas le croire. Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ? Mis à part regarder le bateau couler, je ne vois pas. Il ne reste plus qu'à espérer que Stephen soit vraiment une perle rare qui justifie de tels sacrifices... Vous voulez rire ? Il n'a jamais travaillé pour notre ONG. Il a déjà fait des missions avec une autre, mais au siège de Paris, on ne le connaît même pas. De plus, s'il est si bon que ça, comment se fait-il, avec les problèmes de recrutement que tout le monde rencontre, qu'il ne soit pas encore parti ailleurs ? Il est tout de même identifié depuis février !
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