Le 05/10/2000 : à la maternité de Madhu
Retour à la maison après la visite de Madhu. En tout, ça nous a pris cinq jours et demi. Départ le vendredi matin, à 4h. "Kiss movement" à Habarana à 8h. Arrivée à Vavuniya à 10h. Là, la voiture (avec nos bagages) se met dans la file du convoi qui partira vers Madhu en début d'après-midi : tous les véhicules doivent être fouillés avant le départ. Une autre voiture nous amène au bureau, où nous allons passer quelques heures et manger un morceau. A 13h30, retour à "Ramiah House", le bureau militaire qui gère les convois. Le temps que tous les véhicules finissent d'être enregistrés, il est plus de 14h30 quand le chauffeur démarre la voiture. Celle-ci est une fourgonnette Toyota aménagée en ambulance. D'ailleurs, nous transportons aussi quelques patients de Madhu : une jeune fille avec son bébé de quatre jours (elle avait été transférée à Vavuniya pour son accouchement) et une famille de quatre personnes, les parents et deux garçons. Les gamins (8 et 10 ans environ) avaient trouvé une grenade ou une mine. Ils ont eu l'idée de la ramener à la maison... L'aîné s'en est tiré sans gros dégâts. Le plus jeune, par contre, a dû être amputé d'une partie de la jambe gauche (à mi-mollet) et de son avant-bras gauche. L'avenir s'annonce difficile pour tout le monde. Pourtant, j'ai rarement vu un gosse avec un sourire aussi lumineux.
Le convoi devait se composer d'une quinzaine de voitures : des ambulances, des voitures du CICR, quelques camions du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés), une voiture de prêtres (Madhu est un lieu de pèlerinage, entièrement géré par l'Eglise catholique), et des voitures de différentes ONG européennes ou anglo-saxonnes.
Une petite heure plus tard, tout le monde arrive à "la ligne". Un check point costaud, puisque c'est le seul et unique point de passage entre les deux zones. Les gens qui passent sont complètement fouillés. Normalement, les véhicules aussi. Et toutes les marchandises (pièces de rechange pour les voitures, médicaments pour l'hôpital, matériaux de construction, etc) doivent avoir été autorisées par le MoD (Ministère de la Défense). Ce jour-là, on ne sait pas pourquoi, nous n'avons pas été fouillés.
Là encore, kiss movement. Une autre voiture de notre ONG (en provenance de Madhu) nous récupère et nous fait passer la ligne, alors que l'ambulance qui nous a amenés repart pour Vavuniya. Un peu plus loin, nouveau contrôle. Du LTTE cette fois. Mais là, pas de fouille. Il suffit de présenter nos cartes d'expatriés et le "pass" sur lequel les noms de toutes les personnes autorisées à passer ce jour-là sont notés. Après, Madhu n'est plus qu'à un quart d'heure de piste.
Le village n'en est pas vraiment un. En temps normal (mais il y a bien longtemps que plus rien n'est normal dans cette zone !) il ne doit y avoir que quelques dizaines d'habitants, une immense église et une communauté religieuse. Aujourd'hui, c'est un camp de déplacés qui regroupe environ 5.000 personnes. Les gens vivent dans des abris de fortune, protégés de la pluie par les bâches en plastique fournies par le HCR. L'hôpital a été installé dans un bâtiment de la mission. La maison occupée par notre ONG appartient aussi aux prêtres, de même que celle du CICR (nos voisins de droite) et celle du HCR (nos voisins de gauche) ! Tout près, il y a un immense étang (l'une de ces multiples retenues d'eau artificielles du Sri Lanka) où nagent des crocodiles. C'est un endroit splendide, très calme, propice à la méditation.
L'hôpital est petit mais bien entretenu. Une partie du personnel est employée par notre ONG. Les autres sont affectés ici (et payés) par le gouvernement, mais on leur paie un complément de salaire pour qu'à niveau de compétences égal tout le monde gagne la même chose. Les moyens sont évidemment limités. Par exemple, aucune chirurgie n'est possible sur place. Les cas les plus sérieux sont donc transférés sur Vavuniya. Ce qui n'est pas simple, car il faut passer la ligne de front... Par contre, la maternité fonctionne bien. En moyenne, il y a de 20 à 25 accouchements par mois.
A Batticaloa, j'avais pu assister à deux interventions chirurgicales : la pose d'un drain thoracique sur une femme blessée par balle et une laparotomie sur un homme qui avait reçu des éclats d'obus. C'était Emmanuelle (la chirurgienne qui était avec moi dans l'avion) qui opérait. Elle tenait beaucoup à ce qu'on voie dans quelles conditions elle travaille. Inutile de dire que je ne me suis pas fait prier ! Le but de la deuxième opération était de voir quels dégâts les éclats d'obus avaient pu faire. Elle a dû ouvrir sur une vingtaine de centimètres pour contrôler minutieusement tous les organes. Résultat des courses : un minuscule éclat (qu'elle a sorti) avait fait un trou dans l'intestin grêle. Elle l'a donc recousu avant de tout remettre en place. Au total, l'opération a duré environ une heure et demie. C'était passionnant.
A Vavuniya, trois petites interventions. Très courtes. Concernant des abcès. Une petite boule de 2 cm de diamètre sur le crâne d'un bébé d'environ un an. Un doigt qui avait triplé de volume sur un homme d'une cinquantaine d'années. Et un abcès gros comme une pomme sur le coude d'un homme d'une trentaine d'années. Celui-là, c'était vraiment immonde. Au premier coup de scalpel, le pus a giclé partout...
A Madhu, rien de tout ça. Par contre, j'ai pu assister à un accouchement. C'était lundi, en fin d'après-midi. J'étais restée bouquiner à la maison. Un gardien de l'hôpital est arrivé avec un mot de la sage-femme australienne : "si tu veux voir un accouchement, viens maintenant". Là encore, je ne me le suis pas fait dire deux fois ! La fille était arrivée le matin. Danna, la sage-femme, lui avait mis une perfusion pour augmenter les contractions. Le bébé est né vers 18h15 et j'ai appris plein de choses. Danna est passionnée par son métier (on la comprend !) et n'est jamais avare d'explications. J'ai adoré ça. Dire qu'à cinq ans, je voulais être infirmière... Qu'est-ce qui m'a pris de me lancer dans l'informatique après ?!
Le bébé était une petite fille de 2,400 kg. Ce n'est pas très gros, mais la mère n'était pas bien grosse non plus. Lors de ses consultations, Danna voit régulièrement des femmes enceintes qui pèsent moins de 40 kg... Trois semaines plus tôt, elle avait transféré à Vavuniya une femme qui avait des problèmes d'hypertension. Elle en est revenue avec un petit garçon qui pesait 950 g ! Ce dimanche, c'était jour de fête à la maternité : le bébé venait d'atteindre 1,500 kg et pouvait commencer à être nourri au sein. Jusque là, c'était Danna qui le nourrissait, par intubation, avec le lait de la mère.
Voilà, il ne me reste donc plus que la péninsule à visiter. Finalement, j'irai un peu plus tard que prévu : le 17 ou le 24/10. En effet, ce n'était pas très judicieux de partir la semaine prochaine. D'abord, parce que mardi prochain, c'est jour d'élection au Sri Lanka. Tout le monde s'attend donc plus ou moins à la reprise des combats. Déjà, les incidents se multiplient. Les "suicide bombers" du LTTE ont recommencé à faire parler d'eux. Le principe est simple : un homme (ou une femme), bardé d'explosifs se débrouille pour se trouver à proximité de la personne ciblée avant de mettre le feu aux poudres. A Colombo, il y a deux ou trois semaines, l'opération a raté : le ministre visé n'a rien eu. Par contre, il y a eu une demi-douzaine de morts. Il y a quelques jours, c'est à Trincomalee qu'un autre s'est fait sauter. En tout état de cause, il va certainement y avoir plusieurs jours de couvre-feu la semaine prochaine.
Ensuite, pour ce qui est des finances, on entre dans une période chargée. Entre la préparation du budget pour l'année 2001 et la rédaction des "proposals" (demandes de financement) à envoyer aux différents financeurs pour l'année prochaine, je ne vais pas chômer. Comme il y a aussi beaucoup de choses à réorganiser dans le bureau, ce n'est pas la meilleure période pour entrer en fonction, mais bon !
Dernières petites infos pour ceux qui s'intéressent plus particulièrement aux enfants. Samuel a perdu sa première dent il y a une dizaine de jours. Il commence à lire seul des histoires simples en français et il fait ses premières phrases en anglais. Elisa a cassé son biberon la semaine dernière : excellente occasion de le supprimer ! Elle déjeune désormais comme tout le monde, dans un bol. A part ça, elle dort sans couche depuis hier soir. La première nuit a été une réussite totale. Espérons que ça continue : le stock de couches ramené de France arrive à expiration ! Sinon, elle a aussi sa première carie, et ça c'est moins drôle...
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