Arrêts sur image : au pays de la "yerba mate"
Le "mate" (prononcer "maté") est une boisson extrêmement répandue en Argentine, dans certaines régions du Chili, à l'est de la Bolivie, au Paraguay, dans le sud du Brésil et en Uruguay. Mais c'est peut-être au Paraguay qu'il est le plus omniprésent. Partout, on le sirote : dans la rue, le bus, au travail lors des pauses, au volant de sa voiture... Il n'est tout simplement pas envisageable de se déplacer sans lui.
La plante
"Ilex paraguayensis", plus communément appelée "yerba mate", est la plante qui se trouve à l'origine de la boisson. C'est un arbre qui peut atteindre les quinze mètres de haut lorsqu'on le laisse pousser à sa guise. En plantation, par commodité, on ne le laisse guère dépasser les deux mètres. Les précieuses feuilles récoltées une fois par an se retrouvent ainsi à hauteur d'homme.
L'arbre donne de petits fruits qui ont la taille et l'aspect de grains de cassis. Chacun contient quatre petites graines qui pourront à leur tour donner naissance à un nouvel arbrisseau. Pendant un an, celui-ci va pousser en serre. Et après sa transplantation, il faut encore compter quatre à six ans de croissance avant la première récolte.
Le moment venu, les jeunes pousses sont coupées et stockées dans un entrepôt. Là, un premier processus de séchage se met en route. Les rameaux sont perpétuellement retournés à la fourche, jusqu'à ce que le plus gros de l'humidité ait disparu. Ensuite, la "yerba mate" est hâchée en petits morceaux et passée au crible pour enlever le maximum de branchettes. En Argentine, au Brésil et au Paraguay, celles-ci peuvent tout de même représenter jusqu'à 30 % de l'herbe vendue. En Uruguay, par contre, on n'en tolère pas le moindre petit morceau. Mise enfin en sacs (qui restent ouverts), la plante va encore être stockée de vingt à vingt-quatre mois avant d'être conditionnée et vendue. C'est, semble-t-il, cette longue période de maturation qui lui donne son goût particulier... au Paraguay, en tout cas, puisque cette étape de la fabrication n'existe pas partout.
L'orgueil national du Paraguay
Bella Vista est une petite ville du sud-est du Paraguay. A l'origine colonie allemande, elle se définit aujourd'hui comme "la capitale mondiale de la yerba mate" ! C'est ici, au bout de l'unique avenue goudronnée, que se trouvent les locaux de l'entreprise Lauro Raatz S.A., productrice de la "yerba mate" de marque Pajarito.
Il y a cinquante ans que Don Lauro, comme tout le monde l'appelle affectueusement ici, a fondé son entreprise. Mais dès 1922, il récoltait la "yerba mate" dans la première plantation de son père. Aujourd'hui, à 77 ans, il est à la tête d'une entreprise d'une centaine de salariés qui produit 15 tonnes de "yerba mate" par jour. Une "yerba mate" qui est, selon son slogan publicitaire, "l'orgueil national" du Paraguay.
Simplement vêtu d'un pantalon en toile et d'une chemisette, une casquette à carreaux sur la tête, Don Lauro nous accueille sans façon. Après une petite présentation vidéo, ils nous emmène faire un tour dans ses installations : la salle d'empaquetage où le travail est essentiellement réalisé à la main, la petite pièce où la toute nouvelle "yerba mate" en sachet est préparée pour l'exportation, le laboratoire, l'entrepôt où des milliers de paquets attendent d'être chargés...
- J'ai commencé avec une camionnette qui avait tout juste trois cents kilos de charge. Aujourd'hui, c'est par semi-remorques que le Pajarito est livré !
Derrière l'entrepôt, Don Lauro nous présente respectueusement un plan d'ilex paraguayensis âgé de quatre-vingts ans. L'arbre d'origine est mort, mais des rejets ont poussé, signe d'une incontestable vitalité. Il en prend un soin jaloux.
Un art de vivre
Le "mate" est bien plus qu'une boisson. On le prépare presque religieusement. Un peu comme le thé à la menthe dans les pays arabes.
En général, c'est le plus âgé qui s'en charge. Dans les supermarchés, des rayons entiers lui sont consacrés. Nature, aromatisé à l'orange, au citron ou à la menthe, mélangé à des herbes médicinales ou des racines pilées, toutes les combinaisons sont possibles. On peut le boire avec du lait... ou de l'eau de vie ! On peut aussi le faire passer dans un filtre, comme le café.
Le récipient dans lequel on boit est un objet que l'on va choisir avec soin. Nommé "matero" en Argentine, "guampa" au Paraguay ou "cuia" au Brésil, il peut être en bois, en corne ou en coloquinte, recouvert de cuir ou de métal. On le remplit aux deux tiers de "yerba mate", après y avoir placé la "bombilla", une espèce de paille en métal à l'extrémité fermée, aplatie en forme de cuiller et percée de petits trous. Ensuite, on verse de l'eau chaude sur l'herbe. Chaude, mais pas bouillante ! Et on boit. Chacun son tour. Car boire le "mate" est un acte social par nature et toutes les personnes présentes sont conviées. Celui qui a préparé la boisson se charge de verser l'eau et l'ordre de passage est immuable.
Au Paraguay, on boit aussi la "yerba mate" avec de l'eau froide, voire glacée. On appelle alors la boisson "tereré". Mais que l'eau soit chaude ou froide, cela ne change rien au fait qu'elle soit conservée dans un thermos. Il existe ainsi de superbes nécessaires à "mate" en cuir, recouvrant un thermos de deux litres auquel est accolé un support pour le récipient. Nécessaires qu'il n'est pas rare de retrouver dans les consignes des grands magasins, car même pour aller faire ses courses, il n'est pas question de s'en séparer !
Au Brésil, le "mate" change de nom pour devenir le "chimarrão". L'herbe est réduite en poudre et la préparation est différente. Certes, on remplit toujours le récipient aux deux tiers. Mais après, on le couvre et on le secoue légèrement, à l'horizontale, pour tasser l'herbe sur un côté. On verse ensuite une première eau (tiède) dans l'espace libre sur l'autre côté. Enfin on met la bombilla en place, à la limite de l'herbe. Sinon les trous se bouchent et il n'est pas possible de boire.
Les 10 commandements du buveur de "mate" au Brésil
1. Tu n'en voudras pas au chef de famille de prendre le premier "mate".
2. Tu ne déplaceras pas la "bombilla".
3. Tu ne diras pas que le "chimarrão" est trop chaud.
4. Tu ne diras pas que le "chimarrão" est anti-hygiénique.
5. Tu ne diras pas que le "chimarrão" provoque le cancer de la gorge.
6. Tu ne dormiras pas la "cuia" dans la main.
7. Tu ne changeras pas l'ordre dans lequel le "mate" est servi.
8. Tu ne demanderas pas du "mate" sucré.
9. Tu n'abandonneras pas le "mate" au milieu du service.
10. Tu ne feras pas passer la "cuia" sans avoir bu le "mate" jusqu'à la dernière goutte.
Nature, la boisson est très amère. Peut-être moins au Brésil. Pourtant, on lui ajoute rarement du sucre (voir le huitième commandement, ci-dessus !) . Et c'est vrai que les deux goûts se marient assez mal. En tout état de cause, il faut du temps pour s'habituer à cette saveur étrange, mais au fil des mois la pause goûter des enfants est aussi devenue la pause "mate" des parents... Un moment aussi agréable que le petit café à la fin du repas de midi !
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