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L'Amérique du Sud en famille - Extraits

SUR LE CARGO, EN ROUTE VERS L'ARGENTINE

Au bout de trois semaines, nous commençons à bien connaître tous les passagers. Avec l'équipage aussi, les liens se sont resserrés. Elisa est la coqueluche de tout le monde. Pratiquement tous les jours il y a quelqu'un pour lui offrir du chocolat. Avec ce qu'on nous sert à table, ce séjour sur le Grande Brasile commence à ressembler un peu trop à une cure d'engraissage ! Il va être temps que cela s'arrête.
Pourtant, la vie à bord ne nous lasse pas. Rémi se régale toujours à traquer les petits détails techniques de la construction du bateau. Il passe aussi des heures dans la passerelle à suivre les manoeuvres. Moi, j'aime y faire un tour pour jeter un oeil sur la carte et le radar, ou regarder à combien souffle le vent... mais je préfère nettement rester sur le pont, en plein vent, à scruter l'horizon. Samuel et Elisa ne se plaignent pas non plus. Une seule fois, Elisa a demandé, d'un air excédé :
- Maman, c'est quand qu'on arrive dans la bonne ville pour descendre ?
Après Vitória, les escales se succèdent. D'abord, Río de Janeiro, où nous arrivons le soir, vers 21h. Puis Santos, non loin de São Paulo. Là aussi nous arrivons de nuit. Dommage pour le paysage... Ces deux villes sont construites à l'origine sur des îles et les manoeuvres d'approche sont longues et délicates. Surtout à Santos, où le port est étalé sur des kilomètres et des kilomètres. Il nous faudra deux heures à partir de l'entrée dans la baie pour nous amarrer au quai.
Le Tropique du Capricorne est depuis longtemps déjà derrière nous. Son passage a été l'occasion de faire réviser à Samuel les leçons sur les coordonnées marines. Maintenant, la prochaine escale sera la bonne : demain soir, nous arrivons à Buenos Aires.

Dire qu'à l'origine nous voulions partir vers l'Asie... Découvrir le Moyen-Orient. Vivre, petit à petit, au fil des kilomètres, la transformation des us et coutumes jusqu'à nous immerger dans les cultures orientales. Mais l'actualité internationale nous a joué un mauvais tour : guerre en Afghanistan, Irak sur la sellette... Décidément, ce n'était pas le moment de passer par là !
- Et si on retournait en Amérique du Sud ?
L'idée avait fait son chemin. Après tout, nous n'en connaissions qu'une moitié puisque Venezuela, Guyanes, Brésil et Uruguay nous étaient inconnus. Samuel, lui, avait tout de suite montré le plus grand enthousiasme.
- Super ! On pourra aller là où je suis né !
La Bolivie... Sans en avoir discuté, Rémi et moi nous étions déjà dit qu'il serait impossible de ne pas y retourner. Trop de souvenirs, trop d'émotions se rattachaient pour nous à ce pays. Sans parler des paysages, sublimes. Et des amis que nous pourrions y retrouver.
Dans la bouche des gens qui nous voyaient préparer ce nouveau départ, une question revenait sans cesse :
- Combien de temps partez-vous ?
Comment leur dire que nous n'en savons rien ? Tant de facteurs entrent en ligne de compte... L'argent mis de côté pour ce voyage nous permet d'envisager un séjour d'au moins un an et demi, mais c'est la première fois que nous partons avec les enfants. Vont-ils s'adapter facilement à cette vie itinérante ? Et nous, comment allons-nous vivre le fait de ne plus pouvoir voyager exactement comme nous le faisions à deux ?


EN GUYANE

Voilà l'Approuague. Les bus qui assurent la liaison avec Regina s'arrêtent au bord du fleuve et déversent leur flot de passagers dans les pirogues à moteur qui font la navette. Devant nous se dresse le pont qui va bientôt tout changer. Il n'est pas encore ouvert à la circulation (pas avant un mois) mais la structure est d'ores et déjà terminée. Des véhicules sont d'ailleurs stationnés dessus. Rémi va aux nouvelles.
- Pour l'instant, il n'y a que la gendarmerie, la douane et les pompiers qui peuvent traverser. Mais si on a leur autorisation, on pourra passer aussi. Sinon, il y a la barge qui est amarrée en face. Apparemment, elle traverse matin et soir.
Une petite voiture blanche arrive tout à coup et se stationne devant nous, à l'extrémité du pont. Un homme blanc d'un certain âge en sort, côté passager. Il va voir le gardien du pont. La conductrice, une jeune Brésilienne, sort à son tour pour admirer le paysage. Rémi s'approche. Très vite, il apprend que l'homme est un fonctionnaire des douanes.
- Alors, c'est à vous que je dois demander l'autorisation de traverser le pont ?
- Oui, mais je ne vous la donne pas, déclare l'autre froidement. Tant qu'il n'est pas officiellement ouvert à la circulation, vous n'avez pas le droit de passer.
Sur ces entrefaites, le gardien du pont s'approche.
- Il faudra laver les pneus, pour ne pas salir les bandes de goudron frais aux jointures.
L'autre le toise de haut.
- Et qui est-ce qui va le faire ?
Le gardien ne répond rien, mais il descend remplir un seau d'eau à la rivière. Bientôt, il a les mains dans la boue. Le douanier et sa copine, enlacés, supervisent le travail en discutant. La scène est écoeurante. Mais pour qui se prend-il donc, ce petit chef expatrié ? Comment peut-on montrer un tel mépris envers ses semblables ? Au moment de repartir, il tendra tout de même un sac plastique bien rebondi au gardien : n'étant pas en service, notre douanier n'avait pas plus que nous le droit de traverser le pont.
Deux heures ont passé et nous sommes toujours stationnés au même endroit. Petit à petit, les langues se délient. Nous savions bien que tôt ou tard il serait question d'argent, mais les exigences de nos interlocuteurs dépassent largement tout ce que nous pouvions imaginer.
- La barge qui est de l'autre côté peut venir nous chercher, mais le gars qui la manoeuvre demande cent euros pour se mettre au boulot. Sinon, on peut passer comme le douanier, en lavant les pneus. Pour ouvrir la barrière, le gardien ne demande "que" cinquante euros !
C'est de la folie pure. Et un vrai scandale. Pour nous, qui avons toujours refusé de payer des bakchichs, il est hors de question de jouer le jeu. Encore moins dans un département théoriquement français ! D'ailleurs, l'excuse est toute trouvée : nous n'avons pas d'euros.
Sur le pont, les hommes se parlent en brésilien, persuadés que nous ne pouvons pas comprendre. L'un d'eux essaie de convaincre celui qui manoeuvre la barge de nous emmener, mais l'autre refuse tout net de "travailler pour rien".
- S'ils n'ont pas d'argent, ils n'ont qu'à attendre que le pont ouvre !
La nuit approche et le chantier se vide. De notre côté, nous nous préparons à dormir sur place : dans ce genre de circonstance, la patience ne nous a jamais fait défaut. Soudain, Rémi avise deux voitures qui se présentent au bord de l'eau, de l'autre côté du fleuve : elles vont traverser avec la barge. Nous avons peut-être une chance... car la barge va forcément retraverser : tous les travailleurs habitent de l'autre côté.
C'est un homme que nous n'avons pas encore vu qui manoeuvre l'embarcation.
- Vous voulez traverser ? nous demande-t-il.
- Oui, répond Rémi, mais on n'a pas d'argent pour payer.
- Bah, lui dit l'autre, je ne vais quand même pas vous laisser là avec les enfants... Montez.
Le proverbe dit vrai : le temps, c'est bien de l'argent.