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Du Traité établissant une Constitution pour l'Europe

"Europhile" convaincu, je suis pour un traité établissant une Constitution Européenne. Tout comme, en leur temps, j'étais "pour" l'Acte unique, "pour" le traité de Maastricht, "pour" celui d'Amsterdam, "pour" celui de Nice, pour...
J'ai toujours été "pour", mais "pour" quoi ? Intuitivement, je suis "pour" une Construction européenne qui soit solidaire, sociale, démocratique, avec, à terme, un transfert complet des compétences et pouvoirs des Etats à l'Union. Une sorte de fédération européenne ou quelque chose comme ça. Mais précisément, je n'en sais rien car je ne me suis jamais vraiment posé la question. Les choses m'apparaissaient de façon naturelle et je ne m'étais jamais penché sur les textes. Je me suis presque toujours contenté de faire confiance aux institutions, aux politiciens, à ceux que je laissais volontiers réfléchir à ma place !

En tant que citoyen français devant donner son avis lors du référendum qui aura lieu le 29 mai 2005, je me suis dit qu'il fallait que je me fasse un avis personnel sur cette proposition de Constitution et donc sur l'Europe que je voulais vraiment. Dès mi-janvier, je commandais donc le "Traité établissant une Constitution pour l'Europe" auprès du Ministère des Affaires Etrangères. Il leur faudra un mois et demi pour daigner me l'envoyer. Heureusement, la mairie de mon domicile a bien voulu me prêter son exemplaire...
Comme vous pouvez vous en douter, n'étant ni politicien, ni juriste, je n'ai bien évidemment pas compris grand-chose à ma lecture, d'autant que le texte est particulièrement long, complexe et ambigu.
J'ai donc repris ma lecture du Traité non plus de la première à la dernière page, mais en recherchant tout ce qui se disait sur un sujet donné (merci aux outils de recherche des logiciels de traitement de texte) et en confrontant les articles avec ma conception de l'Europe. J'ai commencé par prendre des notes pour organiser mes idées, puis je les ai développées un peu. J'ai essayé de confronter mes opinions et interprétations en assistant à des réunions, en en parlant autour de moi, en cherchant sur les sites Internet de différents partis (de droite comme de gauche), syndicats (d'un bord à l'autre), associations (d'une mouvance à l'autre)... ce qui se disait sur le sujet. Comme je couchais tout par écrit, on m'a fait comprendre qu'il serait dommage de ne pas en faire profiter les autres.
Je préfèrerais que vous lisiez la Constitution et que vous vous fassiez votre propre idée ; mais peu d'entre vous le feront. Vous trouverez donc ci-après ma petite analyse. Je vous conseille de ne pas me croire sur parole sous prétexte que j'ai lu la Constitution. Vérifiez par vous-même mes interprétations (pour chaque citation, vous trouverez le N° de l'article dont elle est extraite). Vous trouverez le Traité en suivant les liens à la fin de cet article.

Petit aparté avant de commencer pour rappeler le fonctionnement actuel de l'Union Européenne.
Le Conseil Européen (réunissant les chefs d'Etats et de gouvernements) fixe les grandes orientations de la politique européenne.
Le Conseil des ministres issus de ces gouvernements approuve les projets de loi proposés par la Commission.
La Commission est nommée par les gouvernements (un commissaire par Etat) et ratifiée par le Parlement. Elle est la seule à proposer les lois européennes. Elle met en oeuvre l'ensemble des décisions prises et exécute le budget de l'Union. Par contre, la Commission n'est pas responsable politiquement devant le Parlement ou le peuple.
Le Parlement, élu, représente les citoyens. Il n'a aucun pouvoir sur les recettes et ne vote que les dépenses du budget Européen (et encore, uniquement dans ses grandes lignes). Il n'a aucune initiative législative (il ne peut pas proposer de lois) et ne peut modifier les projets. Par contre, il vote les lois (directives) dans certains domaines. Il ratifie la nomination de l'ensemble de la Commission européenne et peut la renverser.
La cour de justice européenne fait respecter les traités européens et les lois européennes.
La Banque centrale européenne définit la politique monétaire de l'Union (taux d'intérêt, emprunt). Les membres de son directoire sont nommés par les gouvernements, ne sont pas révocables et n'ont de comptes à rendre à personne.
Les citoyens européens élisent au suffrage universel les députés siégeant au Parlement.

L'Union actuelle est donc essentiellement une coopération entre gouvernements. Les pouvoirs sont organisés de telle sorte que personne n'apparaît clairement comme responsable de la politique menée, contrairement au niveau national où le ministre, le premier ministre, le président de la république ou la majorité parlementaire apparaissent comme pleinement responsables des décisions qu'ils prennent, ce qui est un élément essentiel du contrôle démocratique et donc du caractère démocratique de notre système politique.

Mais revenons à nos moutons.
Le projet de "Traité établissant une Constitution pour l'Europe" comprend un préambule, quatre parties totalisant 448 articles (pour mémoire, l'actuelle Constitution Française n'en contient que 89), trente-six protocoles et deux annexes.

1. Qu'est-ce exactement qu'une Constitution ?

Le Petit Larousse me dit que c'est l'ensemble des textes fondamentaux qui établissent la forme d'un gouvernement, règlent les rapports entre gouvernants et gouvernés, et déterminent l'organisation des pouvoirs publics.
En d'autres termes, ce sont les textes de base qui permettent l'adoption d'une forme gouvernementale. La Constitution crée des institutions, définit leur rôle, leurs limites ainsi que leur fonctionnement. Elle précise la manière dont le peuple choisit ses représentants ainsi que les pouvoirs et devoirs de tout un chacun. C'est ce qui nous permet, à nous Français, et ce depuis près d'un demi sièle (04/10/1958, naissance de la Vème République) d'avoir une alternance politique, voire une cohabitation.

2. Alors, s'agit-il d'une Constitution ?

Ce Traité a bien la portée d'une Constitution puisque "La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union... priment le droit des Etats membres" (Article I-6). De plus, les domaines de codécision entre le Parlement et le Conseil des ministres sont élargis.
Par contre, en aucun cas une Constitution démocratique n'introduit, ne privilégie (encore moins ne fixe) une politique que les susdites institutions devront mettre en oeuvre. A ma connaissance, seules les Constitutions des pays de l'ex-bloc de l'Est fixaient une politique - dite "économie sociale de production".
Or, ce Traité impose une politique ultra-libérale dès l'article I-3 "un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée" et dans sa partie III. Comme la Constitution Européenne "prime le droit des Etats" (Article I-6), qu'une révision éventuelle de la Constitution impose l'unanimité des Etats membres (Articles IV-444 §3 et IV-445 §2 "... le Conseil Européen statue à l'unanimité...") et que "le présent traité est conclu pour une durée illimitée" (Article IV-446), l'éventualité d'une révision est hautement improbable, pour ne pas dire impossible.
Dans les traités précédents, le marché et la concurrence étaient des moyens. Dans ce traité "constitutionnel" il s'agit d'objectifs. Des signes qui ne trompent pas : le mot "marché" apparaît 78 fois et "concurrence" 27 fois.

Bref, l'autoroute ultra-libérale est toute tracée et aucune sortie (alternance) n'est possible avant la Saint Glinglin.

3. Légitimité de la Constitution

Comme je le signalais au début, la Commission (dont les membres sont nommés et non élus) a l'initiative des lois européennes ("Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission..." Articles I-26 §2 et "La Commission présente une proposition au Parlement européen et au Conseil." III-396 §2). Très exceptionnellement, ce peut être "...sur l'initiative d'un groupe d'Etats membres, sur recommandation de la Banque Centrale Européenne ou sur demande de la Cour de justice..." (Article III-396 §15). Le Parlement (qui lui est élu) ne peut pas modifier les projets ! Il peut proposer des amendements à la majorité des parlementaires et non des présents (Article III-396 §7c). Si la Commission n'approuve pas les amendements, ils ne pourront être adoptés que si le Conseil des ministres l'approuve à la majorité qualifiée ("... au moins 72% des membres... réunissant au moins 65% de la population de l'Union" Article I-25 §2). Autant dire que les personnes "nommées" ont un pouvoir nettement supérieur aux "élus".

Il est intéressant de constater que dans la note adressée par le Praesidium aux membres de la Convention (en vue de la session plénière du 13 juin 2003 et contenant le texte de la Constitution), on trouvait la citation suivante :
Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité, mais du plus grand nombre. Thucydide II, 37
Cette citation a disparu du texte final car elle n'y avait plus sa place. Pour que ce soit le cas, il aurait fallu que la Constitution s'appuie sur le peuple européen, seul souverain et seule source de légitimité. Il aurait également fallu qu'il définisse les politiques militaire, agricole, économique... Lui et pas une Commission nommée (qui n'est pas responsable politiquement devant le Parlement).
Ce n'est pas le cas dans le texte qui nous est proposé.

La Constitution française commençait par : "le peuple français proclame" que le principe de la République est "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple" (art. 2).
Rien de tel dans le projet de constitution européenne, où la souveraineté du peuple n'est nulle part mentionnée. Le seul rôle du peuple et des citoyens est de légitimer une construction interétatique à laquelle ils ne participent pas, comme en témoigne le préambule du traité. Celui-ci indique que les Etats sont "reconnaissants aux membres de la Convention européenne d'avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyens et des Etats d'Europe". Ce qu'il ne dit pas, c'est que ces membres de la convention siégèrent sans jamais avoir été mandatés pour cela par les citoyens européens.

Ce projet de Constitution est un texte qui ne respecte pas les acquis fondamentaux des Etats constitutionnels. Il s'agit d'un projet non démocratique.

4. Egalité des Etats

"L'Union respecte l'égalité des Etats membres..." (Article I-5 §1).
La composition de la Commission européenne (I-26), du Conseil des ministres (I-23 §2), du Conseil européen (I-21 §2), de la Cour de justice (I-29 §2) et de la Cour des comptes (I-31 §3) respecte cette égalité en ce sens que chaque instance dispose d'un membre pour chaque état.
Mais est-il normal que 2,5% de la population (représentés par 7 Etats) disposent de plus de membres que 3/4 de la population (74,7% pour être exact, représentés par 6 Etats seulement) ? Le rapport est de 1 pour 35.
Ceci se justifierait (dans des proportions peut-être plus raisonnables) pour une chambre haute (comme notre Sénat) puisque l'Europe est composée d'Etats ayant des populations très hétéroclites, mais pas au sein d'institutions exécutives et judiciaires.
Il y a bien un garde-fou appelé "majorité qualifiée", mais uniquement pour le Conseil européen et le Conseil des ministres. "La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union." (Article I-25 §1).
Peut-on considérer l'Union comme étant juste une construction intergouvernementale ou voulons-nous une Europe plus fédérale ?

De plus, l'Egalité des Etats souffre d'exceptions : le protocole 19 dispense le Royaume-Uni des règles de coopération policière, judiciaire, administrative et en matière d'asile et d'immigration.

5. Egalité des citoyens

"... l'Union respecte le principe d'égalité de ses citoyens..." (Article I-45).
Pourtant, le principe "un citoyen - une voix" pour l'élection des députés n'est pas respecté. En effet, la représentation d'un pays au Parlement Européen n'est pas proportionnelle à sa population, mais "... dégressivement proportionnelle avec un seuil minimum de 6 membres... et un maximum de 96" (Article I-20 §2). Donc, Malte a un siège par tranche de 61.000 hab. (368.000 hab. / 6) et l'Allemagne a un siège pour 851.000 hab. (81.700.000 hab. / 96). Un Maltais "pèse" donc 14 fois plus qu'un Allemand. Un peu comme si la Haute-Savoie avec ses 650.000 hab. avait le même poids au niveau politique que Paris et sa Banlieue (9.500.000 hab.).
Je ne dis pas que c'est bien ou mal ! Il s'agit d'une sorte de "discrimination positive" en faveur des "petits" pays, mais le rapport de 1/14 me paraît quand même important.
Si discrimination positive il devait y avoir, ce devrait être uniquement au niveau des Etats dans une chambre haute (voir § ci-dessus). Ceci bien sûr à la condition expresse qu'il y ait une réelle représentation des citoyens avec des pouvoirs étendus du Parlement (possibilité de légiférer entre autres).

6. Initiative citoyenne

Tout le monde en parle et en dit le plus grand bien. Il s'agirait d'une avancée démocratique considérable ! En effet "Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins,... peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission... à soumettre une proposition... s'ils estiment qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution..." (Article I-47 §4). En clair, la Commission en fera ce qu'elle voudra, mais elle n'est pas tenue d'y donner suite. De toute façon, la proposition ne peut concerner que l'application de la Constitution, en aucun cas la Constitution elle-même.

7. Services Publics

Voici un sujet auquel les Français restent très attachés (moi aussi). Les hôpitaux, écoles, transports, communication, poste, énergie, eau... font partie des Services Publics. Leur rentabilité n'est pas l'objectif principal. Ce sont des services de base devant être accessibles à tous et fonctionnant sur le principe de la solidarité.

Le traité d'Amsterdam incluait les services publics dans les valeurs communes de l'Union (Article 16).
Dans la nouvelle Constitution, service public n'est mentionné qu'une seule fois comme une "servitude" concernant les transports (Article III-238). Par contre, nous trouvons le terme "Services d'Intérêt Economique Général" (SIEG) dans l'article II-96. Mais selon l'annexe I du Livre Blanc de la Commission sur les "Services d'Intérêt Général" (SIG) de 2004, "les termes 'SIG' et 'SIEG' ne doivent pas être confondus avec l'expression 'Services Publics' " (p. 23). Ces derniers ne font donc partie ni des valeurs de l'Union (Article I-2) ni de ses objectifs (Article I-3). Le SIEG serait (a priori) plus considéré comme une sorte de "service minimum". Les champs d'application des SIEG sont strictement limités par la Constitution (Article III-122), leur libéralisation est programmée (Article III-147 "La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d'un service déterminé...") et les Etats sont priés d'accélérer le processus (Article III-148 "Les Etats membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au delà de la mesure qui est obligatoire..."). En tout état de cause, ils sont soumis aux règles de la concurrence non faussée : article III-161 §1 "sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits... toute pratique concertée... qui a pour effet... de fausser le jeu de la concurrence" ; article III-166 §2 "Les entreprises chargées de la gestion de Services d'Intérêt Economique Général... sont soumises... aux règles de la concurrence..." et article III-167 §1 "... sont incompatibles avec le marché intérieur... les aides accordées par les Etats membres... qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Ces articles viennent en contradiction avec le seul point positif du III-166 §2 : "... dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie...". Alors ? Pourra-t-on fausser la concurrence si la mission du SIEG risque l'échec ? Certainement pas, car il s'agit de SIEG et non de SIG. Le "E" (pour "Economique") fait une grosse différence !
Bref, si le Service Public est mort avant même d'exister officiellement, le SIEG (qui fait office d'ersatz) n'est actuellement toléré que s'il respecte les règles de la concurrence. De plus, sa mise à mort est elle aussi programmée.

8. Le droit des Droits : on se moque des citoyens

La Partie II de la Constitution, appelée Charte des Droits Fondamentaux de l'Union parle de la "Dignité humaine" (Article II-61), du "Droit à la vie" (Article II-62), de "l'interdiction du travail des enfants" (Article II-92), etc. En fait, aucun de ces droits n'est garanti car la Charte s'adresse "aux institutions... de l'Union... ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union." (Article II-111 §1). La décision de les appliquer ou non revient donc aux Etats, ils n'y sont tenus d'aucune manière. Les institutions de l'Union non plus.
Par exemple, "L'Union reconnaît et respecte le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux... tel que la maternité, la maladie, les accidents de travail, la dépendance, la vieillesse, ainsi qu'en cas de perte d'emploi... le droit à une aide sociale et à une aide au logement... selon... les pratiques nationales" (Article II-94 §1 et 3). Dans son infinie bonté, la Constitution nous autorise à accéder à des prestations sociales si elles sont disponibles, mais le droit même à celles-ci n'est pas garanti.
N'oublions pas l'article III-167 §1 (on vient juste d'en parler!) : "... sont incompatibles avec le marché intérieur... les aides accordées par les Etats membres... qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Les prestations sociales et services sociaux ne pourront donc plus être gérés par les Etats sur le principe de la solidarité. Il faudra obligatoirement faire appel à des organismes privés. La Constitution nous autorise donc à accéder aux prestations sociales, encore faudra-t-il en avoir les moyens.

Idem en ce qui concerne les acquis sociaux : rien n'impose aux Etats de les maintenir, d'autant moins que les limites de la Constitution sont celles d'une "concurrence libre et non faussée" (Article I-3 §2) avec "une économie sociale de marché hautement compétitive" (Article I-3 §3). Comme les droits des citoyens ne doivent pas freiner l'économie de l'Union, le nivellement ne peut se faire que par le bas. Le progrès social ne peut venir que des luttes sociales et/ou d'avancées politiques.
Beaucoup de droits décrits dans cette Charte des Droits Fondamentaux (voir les articles II-61 à II-110) constitueraient des avancées importantes en termes de Dignité, Libertés, Egalité, Solidarité, Citoyenneté et Justice pour certains pays (notamment parmi les nouveaux venus). Mais l'Union n'est nullement obligée de les appliquer : la seule obligation d'un "droit" est d'être reconnu et respecté. Seuls les "principes" sont impératifs (voir annexe établie par le praesidium et qui explique la façon d'interpréter l'article III-112 du Traité).
Essayez de décrypter l'article II-93 qui mélange droits et principes :
1) La protection de la famille est assurée sur le plan juridique, économique et social.
2) ... toute personne a le droit d'être protégée contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité,...
A priori, on pourrait penser que la nouvelle Constitution interdit de licencier une femme enceinte. En fait, le premier paragraphe est un "principe" suffisamment général pour ne rien imposer, le second respecte le "droit" éventuel des pays membres. Il n'impose rien.

9. Droit de la femme

On ne trouve rien dans la Constitution quant au droit de la femme de disposer de son propre corps et donc d'accéder à la contraception et à l'I.V.G.

10. Education

"Toute personne a droit à l'éducation... Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire." (Article II-74 §1 et 2).
Comme nous l'avons déjà vu, il ne s'agit que d'une reconnaissance à ce droit. D'ailleurs, rien ne définit ce qu'est l'"enseignement obligatoire", ni ses buts, ses moyens...

11. "Libertés fondamentales" = "Liberté de circulation des capitaux"

"La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement, sont garanties par l'Union..." (Article I-4).
Plus rien ne s'oppose à la délocalisation des entreprises (comme le réclame l'Organisation Mondiale du Commerce) puisque cette mesure devient Constitutionnelle.
De plus "... les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu'aux paiements... sont interdites." (Article III-156) et "... seule une loi... peut établir des mesures qui constituent un recul... en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux... Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen." (Article III-157 §3). Donc, toute taxation des capitaux ou de la spéculation financière (telle la taxe Tobin) sera quasi-impossible. La proposition de M. Chirac, au sommet mondial de Davos, concernant la taxation des transactions financières n'est que du bluff. Il sait qu'elle serait anticonstitutionnelle puisqu'elle constitue une entrave à la circulation des capitaux.
La lutte contre les paradis fiscaux s'avèrerait elle aussi impossible.

12. Harmonisation fiscale

Concernant l'harmonisation des législations fiscales des entreprises, "... le Conseil statue à l'unanimité..." (Article III-171). Bref, ce n'est pas pour demain.
Cette absence de décision va pousser les Etats à une concurrence fiscale, avec à terme une possible négation de l'imposition des entreprises. Car pour empêcher une délocalisation des entreprises vers les Etats taxant le moins, les autres Etats devront se passer de ces revenus (définis dans l'article III-171, à savoir : taxes sur le chiffre d'affaire, droits d'accises et autres impôts indirects).

13. Banque Centrale Européenne (BCE)

Les membres de son directoire sont nommés par le Conseil européen pour 8 ans (Article III-382 §2).
Il lui est "... interdit... d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres..." (Article III-181 §1).
Pour avoir une politique de relance de l'emploi et de l'économie, les Etats et/ou l'Union auront besoin de fonds. La Banque Centrale Européenne ne pouvant accorder de crédits, ces politiques sont vouées à l'échec.

"... Elle est indépendante dans l'exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances..." (Article I-30 §3) et son "... objectif principal... est de maintenir la stabilité des prix..." (Article I-30 §2). Pour finir, c'est elle et elle seule qui fixe les taux d'intérêt.
Avec sa BCE indépendante, l'Union crée un système régi par le pouvoir financier auquel elle se soumet. Le pouvoir économique, exercé par le Système Européen des Banques Centrales (SEBC), échappe donc aux instances politiques, ce qui n'est même pas le cas aux Etats-Unis.

14. Emploi

L'Union oeuvre pour une politique fondée sur "une économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi" (Article I-3 §3) dont l'un des objectifs est "... un niveau d'emploi élevé..." (Article III-205 §1). Si le côté social fait donc partie des objectifs de l'Union, il est dommage que l'on n'en parle plus dans la réalisation d'une "... politique économique... conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre" (Article III-177) qui sacralise le libéralisme économique.

Le traité reconnaît à tout citoyen "le droit de travailler". (Article II-75 §1). Il respecte donc votre envie de travailler. La Constitution Française disait "... chacun a le droit d'obtenir un emploi" et la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 stipule que "toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage" (Article 23-1). Il s'agissait bien du droit au travail, donc à avoir un travail. La différence est de taille. Les allocations chômage risquent bien de fondre comme neige au soleil puisqu'elles ne sont plus justifiées.

Dans les traités de Rome et de Nice, nous pouvions trouver "pour but essentiel" à la construction européenne "l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi des peuples". Dans la nouvelle Constitution, le but essentiel n'est plus l'homme mais l'argent !

15. Environnement

Encore un parent pauvre de la Constitution. D'un côté on "oeuvre pour le développement durable... et un niveau élevé... d'amélioration de la qualité de l'environnement..." (Articles I-3 §3 et II-97), mais de l'autre, il ne faut pas que ça constitue "... une entrave au fonctionnement du marché intérieur." (Article III-172 §6).
De plus, il faut "Accroître la productivité de l'agriculture..." (Article III-227 §1a) car un des objectifs de l'Union est "... une économie... de marché hautement compétitive..." (Article I-3 §3). D'ailleurs, elle l'annonce clairement : "Dans l'élaboration de sa politique dans le domaine de l'environnement, l'Union tient compte... du développement économique..." (Article III-233 §3d) qui, vous le savez déjà, prime sur le reste. Bref, c'est dans la digne lignée du traité de Rome de 1957 ! Mais le contexte a évolué : à l'époque, on était préoccupé par la relance de l'économie et de l'agriculture : il fallait nourrir correctement la population pour qu'elle puisse participer activement à la reconstruction du pays.
Actuellement, la préoccupation principale est le bénéfice immédiat, fût-ce au détriment du développement durable !

16. Guerre et Paix

"L'Union a pour but de promouvoir la paix..." (Article I-3 §1).
Il est donc choquant de voir un peu plus loin que "... Les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires..." (Article I-41 §3).
De plus, ceci implique une augmentation continuelle des budgets militaires, forcément au détriment des autres budgets !

L'objectif de la politique de sécurité et de défense commune est d'effectuer des "... missions en dehors de l'Union..." (Article I-41 §1). Cette politique n'a donc pas pour objectif d'assurer la défense collective tant que le Conseil européen n'en aura pas décidé autrement à l'unanimité (Article I-41 §2). Ce n'est donc pas pour demain car la Grande Bretagne aurait récemment "remis" la gestion complète de sa défense aux Etats-Unis.

Cette politique de sécurité et de défense commune ne prend pas du tout le chemin de l'indépendance, car "... elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord..." (Article I-41 §2) et "... le traité de l'Atlantique Nord... reste, pour les Etats qui en sont membres (ils sont au nombre de 19), le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre." (Article I-41 §7). Ce texte affirme donc le lien de soumission à l'OTAN et lui donne même une reconnaissance constitutionnelle ; à l'OTAN et donc aux Etats-Unis puisque ceux-ci y détiennent le commandement militaire.
Que se passe-t-il si un pays membre de l'OTAN mais pas de l'Union attaque un pays de l'Union (qu'il soit ou non membre de l'OTAN) ?
Où est l'indépendance de l'Union en matière de défense ?

Par contre, soyez rassurés : "... en cas de troubles intérieurs graves affectant l'ordre public, en cas de guerre...", les Etats membres prendront "... les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté..." (Article III-131). On pourra donc se tuer en toute tranquillité et sans risque d'intervention des autres Etats membres puisque leur principale préoccupation reste encore et toujours le commerce !

17. Directive Bolkestein, le retour...

Je change mon article puisqu'il y a eu du changement à propos de celle-ci.
Contrairement à ce que vous pourriez croire, la directive Bolkestein n'a pas été annulée. "Les chefs d'Etat et de gouvernement renvoient le débat au Parlement européen (à majorité libérale) qui examinera le projet au plus tôt à la mi-juillet, soit après l'échéance référendaire en France. Ensuite, la Commission peut, ou non, intégrer les éventuels amendements dans sa rédaction, et le Conseil, qui sera sans doute moins conciliant avec Chirac après le référendum en cas de victoire du oui, doit trouver un accord sur la proposition finale de la Commission, et pas sur celle du Parlement." (l'Humanité du 25 mars 2005).
Bref, la libéralisation des services pourrait bien faire son retour cet été, quand vous serez en vacances...



Je reste persuadé de la nécessité d'une Constitution. Elle permettrait de résoudre bien des problèmes auquel l'Union doit faire face, notamment depuis son élargissement brutal à 25.
Mais il faudrait une Constitution qui ne considère pas le commerce et la concurrence comme le but ultime ; une Constitution qui intègre un volet social, un volet environnemental, qui prenne en considération le développement durable ; une Constitution qui donne une place réelle à l'être humain, au citoyen, qui ne le mette pas au même niveau que les marchandises, les services et les capitaux !
Il faudrait que cette Constitution redonne au Parlement européen les pouvoirs que les Parlements nationaux perdent au fil des traités successifs. L'Union doit se construire entre les peuples et non entre les Etats.

Du temps du référendum sur le traité de Maastricht (la dernière fois que l'on nous a demandé notre avis, en 1992), nous avions le choix entre "Nation" et "Europe". Maintenant, nous devons choisir entre une "Europe espace économique" ou un "Etat Européen".
Même si la majorité des textes de ce traité sont extraits des traités antérieurs (voir liens ci-dessous), le fait de les constitutionnaliser risque d'aggraver la crise européenne car il sera extrêmement difficile (pour ne pas dire quasiment impossible) de revenir en arrière.
Peut-on renoncer passivement au contrôle des politiques par les citoyens, à l'harmonisation fiscale, à l'harmonisation sociale par le haut, à la reprise en main de la politique monétaire, économique ou militaire ?

Je considère ce Traité Etablissant une Constitution pour l'Europe comme une régression.


Si tous les Etats le ratifient, "le présent traité entre en vigueur le 1er novembre 2006..." (Article IV-447 §2). A partir de 2006 devrait-on dire, car les délais s'échelonnent jusqu'à 2014 comme par exemple pour la composition de la Commission européenne (voir article I-26 §6).

Si un Etat ne le ratifie pas, juridiquement tout reste en place. Le traité de Nice (en application depuis le 1er février 2003) continuera d'être appliqué.

Politiquement, si un pays fondateur comme la France dit NON au traité, tout peut changer.
Nous avons déjà vécu une situation analogue en 1945 : les Français ont dit NON au projet de Constitution. Une 2ème assemblée constituante fut élue et un nouveau projet fut proposé et accepté par référendum en 1946. Il s'agissait de la Constitution de la IVème république. De même, le rejet de la Communauté Européenne de Défense en 1954 a débouché sur le Traité de Rome en 1957.

Comme vous le voyez, la Terre n'arrêtera pas de tourner pour autant. Les institutions continueront à fonctionner normalement. Il n'y a donc aucune raison de céder au chantage à la peur auquel se livrent les différents partisans du OUI.

Les membres de l'Union ont une expérience constitutionnelle suffisamment riche pour accoucher sans douleur d'un nouveau projet issu d'une véritable assemblée constituante.
Il est vrai que les expériences des Etats de l'Union sont différentes : les derniers venus n'ont pour ambition principale que de relever leur économie au niveau des autres (ce qui est bien légitime). Ils ne sont pas forcément prêts à déléguer leur récente souveraineté à l'Union...
Mais on peut aussi créer différents niveaux d'intégration au sein de l'Union. Le transfert des compétences peut s'échelonner. Le mode décisionnel du Parlement peut changer au fil du temps, passant d'une majorité qualifiée à une majorité simple...
Tout est possible, il suffit de le prévoir dans la nouvelle Constitution !
L'essentiel est de continuer à construire cette Europe que nous voulons sur de bonnes bases et d'en faire une vraie démocratie.


Je dis NON à cette proposition de Constitution inscrivant un régime politique néo-libéral en son sein.
Vous l'aurez bien compris, mon NON à cette Constitution n'a rien à voir avec un NON nationaliste et ultralibéral. C'est un NON Européen avant tout. Anti-ultralibéral aussi car défendant des valeurs sociales, démocratiques, des idées progressistes de solidarité.
Ce NON est la meilleure façon de relancer la construction européenne.
Par contre, ce NON n'est pas une consigne de vote. Il est important que vous vous fassiez votre propre opinion. Vous trouverez ci-dessous divers liens pour vous y aider.

VIVE L'EUROPE.

Rémi CLERFEUILLE
 

BIBLIOGRAPHIE

Texte sur la Constitution Européenne
Vous pouvez obtenir gratuitement une version papier du traité tel que signé le 29 octobre 2004 à Rome (version éditée par L'Hémicycle et le Service d'information du gouvernement : Traité établissant une Constitution pour l'Europe, 29/10/04, 28 p.), diffusé dans la limite des stocks disponibles :
- à l'unité, auprès du Centre d'appel sur la Constitution européenne - Tél. : 0 810 2005 25 (prix d'un appel local)
- à l'unité, sur place, auprès de La Documentation française - 29, quai Voltaire - 75007 Paris ;
- en nombre, par la Mission Europe du ministère des Affaires étrangères - mission.europe@diplomatie.gouv.fr

- version en ligne du Journal officiel de l'Union européenne C 310, du 16/12/04, (traité + protocoles + annexes I et II + déclarations), 475 p. : Traité établissant une Constitution pour l'Europe
- http://mjp.univ-perp.fr/europe/2004constitution.htm

Protocoles et annexes au projet de constitution
- http://ue.eu.int/igcpdf/fr/04/cg00/cg00087-ad02re02.fr04.pdf

Comparaison traité constitutionnel / traités existants
- http://europa.eu.int/scadplus/constitution/comparison_fr.htm

Traité instituant la Communauté Européenne
- http://europa.eu.int/eur-lex/lex/fr/treaties/dat/12001C/pdf/12001C_FR.pdf
- http://europa.eu.int/eur-lex/lex/fr/treaties/dat/12002E/pdf/12002E_FR.pdf


Traité de Nice du 26 février 2001
- http://europa.eu.int/comm/nice_treaty/index_fr.htm
- http://europa.eu.int/eur-lex/lex/fr/treaties/dat/12001C/pdf/12001C_FR.pdf

Préambule de la Constitution française de 1946
- http://www.legifrance.gouv.fr/html/constitution/const02.htm

Constitution française du 4 octobre 1958
- http://www.legifrance.gouv.fr/html/constitution/constitution2.htm#preambule
- http://www.droitsenfant.com/telecharge/constitution-1958pdf.pdf

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789
- http://www.legifrance.gouv.fr/html/constitution/const01.htm

Rapport de la Délégation pour l'Union Européenne sur la Constitution (par M. Lequiller, député UMP).
- http://www.assemblee-nationale.fr/12/europe/rap-info/i1710.asp


Divers concernant la Constitution (liste non exhaustive, loin de là).

Les partis
- PC - http://www.pcf.fr
- LCR - http://www.lcr-rouge.org
- PS - http://www.parti-socialiste.fr/list_theme.php?theme=MTY0
- Verts - http://les-verts.org
- MoDem - http://www.mouvementdemocrate.fr
- UMP - http://www.u-m-p.org/site/index.php
- CNPT - http://www.cpnt.asso.fr
- FN - http://www.frontnational.com

Non à la Constitution
- http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2034

Associations
- http://www.fondation-copernic.org
- http://yonne.lautre.net/article.php3?id_article=877
- http://www.france.attac.org
- http://www.acrimed.org
- http://www.humanite.fr/journal/dossiers/62/debatsurlaconstitutioneuropeenne/
- http://www.humanite.fr/journal/2005-03-25/2005-03-25-459087
- http://www.monde-diplomatique.fr/2004/11/ROBERT/11698